"Chasubles" : Texte de Sylvie Milczach

CHASUBLES  
A l'endroit, à l'envers... L'oeil se perd du sujet au support, dans les replis du temps et des chasubles. De l'aléatoire accepté comme tel et recomposé Pierre Pécoud se joue, maîtrise les accidents et impose sa marque. La peinture se manifeste alors, luttant contre la trace symbolique d'un vêtement religieux passé au crible des possibles, observé pour mieux disparaître. D'une forme primaire respectée, la montgolfière du terrestre s'empare de l'espace, tente de briser les frontières au cœur desquelles l'artiste s'impose à la cloisonner. L'ascèse formelle impose des contraintes et place l'œuvre au delà de la virtuosité du geste et du Beau. Quête philosophique dont la matière traduit les hypothèses intellectuelles. En déclinant la forme, l'artiste laisse vagabonder la pensée, entre les multiples lectures de l'Idée.
Au gré des formats, le lisse agencement des tissus veloutés et des bruts pigments laisse émerger ses fêlures. Apparition/disparition... Elle dresse les pistes d'un parcours pictural guidé par l'immuable triptyque de la chasuble. A ses trois épaisseurs désacralisées répondent les prosaïques supports de sacs de Farine. Les strates successives donnent naissance aux multiples épisodes d'une peinture archéologique. Là où s'estompe le motif du textile, celui des sinuosités de la colle apparaît au creux des replis.

D'un regard mouvant, les reliefs surgissent, les subtilités se délivrent de la masse et les séries s'apprivoisent - plus justement, elles offrent à la perception les nuances douces et violentes d'une peinture palimpseste. Supports et matières, pigments bruts et

  organiques scories, somptueuses étoffes et parements altérés, l'oeuvre de Pécoud oscille sur la corde raide et exaltante d'une même histoire. Réconciliant art pariétal contemporain et sophistication dans l'authentique, il nous raconte la communication des inconciliables.

La peinture murmure ses pistes. Elle les impose en évidences. Parfois, le tactile intervient, comme un alphabet Braille à caresser du bout des yeux. Le détail entrevu, arraché aux textiles vibrants, s'élance alors vers une rupture nouvelle, transgressant les perspectives et le point de vue du spectateur. Verticale, horizontale, la séparation se manifeste, déchirure qui tend à rompre l'harmonie. Sous le prisme déformant de cette composition, la structure initiale devient autonome et vivante, résonne des vibrations de la matière et s'arrache au support. Le peintre se la réapproprie alors, la retenant par des jeux d'ombres, la rattrapant par des cernes noirs.

La démarche n'est pas encore parvenue à son terme. Pierre Pécoud ne se sépare pas de l'idée fixe qu'est devenue la chasuble. Le support a ici son mot à dire et la lutte est constante pour en accepter les règles du jeu. A l'origine de l'aventure, il est aussi la condition pour mener à bien l'exploration de l'envers du décor. Comme la reconstitution méthodique de ce qui préexistait et qui fut transformé.


Sylvie Milczach

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